Leonardo Castellani : L’Apocalypse de Saint Jean – Excursus G et Partie III Historique-Eschatologique

LEONARDO CASTELLANI

L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN

Edition originale : 1963

Source en espagnol : https://circulosemiotico.files.wordpress.com/2014/03/el-apokalipsys-de-san-juan.pdf

Traduction en français des pages 111 à 128 concernant l’Antéchrist et les bêtes.

EXCURSUS G . L’Antéchrist personnel

Tous les Saints Pères ont vu dans l’Antéchrist ou la Bête de la Mer une personne humaine, comme Julien ou Antiochus – « le mystérieux empereur plébéien » – et non un démon ou un corps moral. C’est à la Renaissance qu’est apparue la collectivisation de la Bête, l’Antéchrist impersonnel, qui a trouvé de nos jours son plus grand défenseur en Lacunza ; bien qu’elle soit déjà indiquée chez le donatiste Tyconius, au IVe siècle, qui voit dans l’Antéchrist « l’ensemble des forces du Mal », incarné cependant à la fin des temps dans un Roi pervers.

Certains exégètes catholiques ont adopté cette idée de mouvement, d’idéologie ou de corps moral pour rejeter l’exégèse enragée de Luther selon laquelle l’Antéchrist était le pape. Une défense faible. Pour le reste, l’exégèse protestante de la messe l’a adoptée plus tard, en substituant simplement le pape à la papauté ; et en citant les deux endroits où saint Jean, dans ses épîtres, parle de l’Antéchrist comme d’un esprit.

Il est facile de voir que les deux choses, un mouvement et un homme, ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives. Il suffit d’ailleurs de lire les textes de l’Apocalypse et de saint Paul dans la seconde épître aux Thessaloniciens, pour voir qu’une personne individuelle y est évidemment désignée. [47]

St. Paul dit :

(2 Th 2) Nous vous conjurons, mes frères, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par notre réunion avec lui, 2 de ne pas vous laisser facilement ébranler dans votre bon sens, et que vous ne soyez pas épouvantés, soit par quelque prophétie, soit par quelque parole ou quelque lettre qu’on prétendrait venir de nous, comme si le jour du Seigneur était proche. 3 Que personne ne vous séduise en aucune manière ; car il faut que l’apostasie arrive auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme de péché, le fils de la perdition, 4 l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu. 5 Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai dit ces choses, lorsque j’étais encore auprès de vous ? 6 Et maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu’il ne paraisse qu’en son temps. 7 Car le mystère d’iniquité est actif déjà ; seulement il faut que celui qui le retient encore soit mis de côté (que celui qui tient maintenant, tienne jusqu’à ce qu’il disparaisse). 8 Et alors se manifestera cet impie, que le Seigneur Jésus tuera par le souffle de sa bouche, et qu’il détruira par l’éclat de son avènement.

Il y a quelque chose qui empêche la manifestation et le triomphe (la grande Apostasie) de l’Antéchrist ; son esprit, cependant, est déjà à l’œuvre ; comme le note également saint Jean : « dès maintenant il y a plusieurs Antéchrists » (1 Jean 2,18). Saint Paul met ce quelque chose au neutre et au masculin, participe présent : Ce qui retient, celui qui retient maintenant (« what withholds, he who now withholds », dit la King James Version). Saint Paul avait dit aux chrétiens de Thessalonique ce qu’était ce mystérieux Obstacle-Hinderer ; « pour eux oui, mais pas pour nous », s’exclame saint Augustin. Mais lui, comme les autres Pères de l’Antiquité, voyait l’obstacle dans l’Empire romain, qui, avec son organisation politique, son génie juridique, son armée disciplinée et son ordre extérieur de fer, empêchait l’explosion de l’Iniquité toujours latente ; et dans le participe présent masculin, l’Empereur.

À tel point qu’à mesure que l’Empire de Rome périssait et se désintégrait sous les invasions barbares, et que l’autorité des empereurs diminuait progressivement, avec la prise de pouvoir absolu par les roitelets commandant l’armée, dans de grands fragments de l’Empire, les chrétiens croyaient l’Antéchrist proche. Au moment de la seconde invasion et du sac de la ville par les Vandales, saint Jérôme de Bethléem écrivait à Ageruchia [48] que les temps les plus récents et l’Antéchrist étaient probablement proches.

L’Antéchrist n’a pas été révélé. Et puis l’exégèse patristique a rectifié son propos sans l’abandonner : l’Empire romain est l’Obstacle ; mais pas proprement son Empereur personnel, mais sa structure formelle, l’Ordre romain, qui est conservé et encore complété dans l’immense création politico-culturelle appelée chrétienté européenne. Newman admet que l’Empire a duré jusqu’à son époque, dans les « dix royaumes » qui en sont issus ; et même un « empereur des Romains » a toujours existé jusqu’à la Révolution française, nominal du moins, et pas seulement nominal chez les plus grands d’entre eux, Charlemagne et Charles Quint. Napoléon Bonaparte a pris son titre et son pouvoir au dernier Saint Roi romain germanique, François II d’Autriche, en créant en 1806 la Confédération du Rhin, prélude à l’hégémonie imminente de la Prusse. Saint Thomas dans son Comm. ad Thess. II, après s’être demandé : « L’Empire romain est tombé et l’Antéchrist ne s’est pas révélé… » répond calmement : « L’Empire n’a pas disparu », et se réfère au Sermon de Pâques de Saint Grégoire le Grand.

L’ordre plus ou moins imparfait mais toujours valable qu’on appelle aujourd’hui la civilisation occidentale a jusqu’à aujourd’hui endigué le flot de l’iniquité. Aujourd’hui, nous voyons deux forces universelles très puissantes, le capitalisme et le communisme, dans la tâche de la détruire ; bien que le capitalisme dise que son intention est de la défendre ; car il a la folle prétention de conserver ses fruits en détruisant sa racine ; ou pour parler comme l’Évangile : il veut d’abord l’Addition et ensuite le Royaume de Dieu ; ou sans le Royaume de Dieu.

Il s’agit de l’interprétation la plus solide et la plus soutenue du Katechon de St Paul. Il y a d’autres nouveautés, dont certaines sont inédites. Le philosophe argentin Alberto Caturelli avance dans ses livres Donoso Cortés et El Hombre y la Historia que le Katechon pourrait être une œuvre de charité. Bien qu’en effet, s’il y a une charité fervente, l’iniquité ne pourrait pas se répandre – de même que si la foi existait, une grande apostasie ne pourrait pas coexister – cette idée ne passe pas à notre avis avec le texte de saint Paul ; entre autres parce que nous ne voyons pas la raison du secret de saint Paul pour écrire ce qu’il avait déjà dit en paroles aux Thessaloniciens, si cette parole était la charité ! qui est nommée avec toutes ses lettres un peu plus haut. Quoi qu’il en soit, le livre de Caturelli contient des doctrines très solides et bien établies, même si celle-ci n’est pas acceptée.

Nous ne pouvons que mentionner d’autres interprétations : c’est l’archange Michel, c’est la race juive, c’est la prédication inachevée de l’Évangile. Ils ne passent pas bien le texte de l’Apôtre.

De même que le Katechon était à la fois un corps moral et un homme à sa tête, ainsi sera l’Antéchrist. Les raisons que Lacunza donne pour l’Antéchrist impersonnel vont seulement jusqu’à prouver qu’il peut y avoir cela aussi ; ou plutôt, qu’il doit y avoir cela ; car c’est une loi de l’histoire que les chefs ou les seigneurs de la guerre sont engendrés par un mouvement, qu’ils organisent et informent à leur tour, dans une causalité réciproque ; comme Hitler et le prussianisme allemand, Mussolini et le nationalisme italien, Napoléon et la Révolution française, et ainsi de suite.

Quand Lacunza ou Eyzaguirre disent « l’Antéchrist, c’est la franc-maçonnerie » par exemple, il leur suffirait d’ajouter : « et son chef » – non que je le croie – pour se réconcilier avec les textes bibliques ; qui sinon restent étrangement déformés.

~ 114 ~

Lacunza considère à juste titre le mouvement du XVIIIe siècle appelé Encyclopédisme, philosophisme ou Lumières comme le mouvement le plus antichrétien de l’histoire, qui a osé appeler le Christ « l’infâme ». Ce mouvement universel est arrivé jusqu’à nos jours sous une forme aggravée. Pas même le culte de Satan n’a la malice subtile et la déformation totale de la vérité que possède cette hérésie adultérante de tout le christianisme. D’autres éléments de l’armée anti-chrétienne – tels que la franc-maçonnerie, la magie et le satanisme – ne sont pas démentis pour autant.

Il est probable que l’intention de Lacunza n’est pas d’exclure que cette machinerie antichrétienne ait une tête – ce qui est évident – mais seulement d’exclure l’image nouvelle et extravagante de l’Antéchrist que les siècles moyens se sont faite. [49] Lacunza n’obtient pas avec sa longue argumentation du « Phénomène III, paragraphe XV » la preuve que le texte de Saint Paul ne se réfère pas à un homme singulier ; mais il obtient qu’il ne soit pas ce singulier fantasmé par le romantisme dévot de certains « théologiens » médiévaux.

Tyconius n’avait pas tort au 6ème siècle de voir dans l’Antéchrist « toutes les forces du Mal dirigées et comme incarnées dans un Roi pervers ». C’est la Cité de l’Homme de Saint Augustin, par opposition à la Cité de Dieu, qui trouve finalement son chef et s’organise en lui.

L’organisation et l’unification des régions du monde en un seul Royaume, qui ressemblera ainsi à l’Empire romain, est aujourd’hui un objectif politique légal et même très valable. Cette entreprise appartient au Christ ; elle est au fond l’aspiration séculaire de l’humanité ; mais elle sera mal anticipée et avortée par le Contre-Christ, aidé par la puissance de Satan. Dans le bulletin du Service canadien de renseignements de janvier 1963, nous pouvons voir le pouvoir qu’ont actuellement les partisans de l’unification du monde sous un seul empire, en particulier aux États-Unis et en Angleterre. Ils prônent l’amalgame du capitalisme et du communisme, qui sera l’acte même de l’Antéchrist.

PARTIE III – HISTORIQUE-ESCHATOLOGIQUE

VISIONS 11-20

« C’est le texte, le texte, le Texte lui-même qui dit tout cela. » (Nabi N’Zar Shrur)

Une oeuvre dépourvue de caprice irrésistible, est virtuellement sans intéret… (St. Fumet)

                                           ~ 115 ~

Congregamini ut annuntiem quae ventura sunt vobis diebus novissimis. (Genèse 49,1)

Onzième vision : Les deux bêtes

Les visions qui suivent sont déjà manifestement situées dans les derniers temps ; c’est pourquoi nous les appelons « eschatologiques-historiques ».

(Ap 13) Je vis ensuite monter de la mer une bête qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des (dix) noms de blasphème.

C’est la dernière bête de Daniel, au chapitre VII. C’est l’Antéchrist selon les interprètes, anciens et modernes. Saint Jean ajoute sept têtes ; Daniel n’a noté que dix cornes. Ainsi, quatre cornes doivent être sur une seule tête peut-être ; car Daniel dit que l’Antichrist frappera trois rois proches, et que les autres se soumettront à lui.

Le sens exact de theríon est Fiera (fawve, bête sauvage, fera, wildes Tier) que nos versions rendent par Bête, impliquant féroce.

Le nom d’Antéchrist a été donné par saint Jean ; saint Paul l’appelle A’nomos, l’Homme sans loi ; le Christ ne l’a pas nommé, mais par le nom de l’Autre, si tant est qu’il le désigne – comme il semble – dans le verset : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas ; si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez » (Jean 5,43). [50]

Je crois opportun de réunir, avant l’exégèse, le résumé de ce que l’Église a toujours enseigné de l’Antéchrist ; en copiant le chapitre II du quatrième cahier de notre livre « Los papeles de Benjamin Benavides ». Il se lit comme suit :

Je vais maintenant copier en résumé un document dans lequel Benavides a enregistré ce que l’Église enseigne en général sur le personnage mystérieux et redoutable qui, depuis 2000 ans, est connu sous le surnom d’Antéchrist. Il peut servir de portrait de l’Antéchrist, ce à quoi le vieil homme a répondu, lorsque nous lui avons demandé de le faire, que c’était déjà fait, ou que ce n’était pas à lui de le faire.

Pour le vieil homme, l’Antéchrist était une chose réelle, et je dirais même – subjectivement et dans son esprit – une chose actuelle. Il croyait dur comme fer que cela allait arriver, aussi certainement que la comète de Halley ou la désintégration de l’atome. Il l’a appelé « la clé métaphysique de l’histoire humaine ». Quand on lui demandait de faire son portrait – et Madame Priscilla, un tempérament de romancière, en était littéralement avide – il s’excusait toujours en disant qu’il faudrait avoir sur les lèvres la braise d’Isaïe, les flammes de Dante, la flétrissure de Milton, les cendres de Baudelaire et par-dessus le marché la puissance verbale de Hugo et la force symbolique de Claudel pour tenter cette entreprise, ce qui a déjà été fait par ailleurs par des écrivains ecclésiastiques anciens et modernes. Une fois, il m’a recommandé un livre de Tomás Maluenda, que je n’ai jamais pu trouver nulle part. Une autre fois, il m’a dit que si je voulais « entrevoir de loin » – comme il disait – l’âme de l’Antéchrist, je devais lire Nietzsche et le comte de Lautréamont. Quelle blague ! Ce que nous voulions, c’est que lui, qui avait tout lu, nous donne le résultat, et qu’il nous fasse une synthèse tout de suite. Mais c’est le problème quand on lit trop, on ne peut pas synthétiser. D’ailleurs, il semblait que le vieux Benavides n’avait pas lu l’Antichrist, mais qu’il l’avait vu, et que sa vue l’avait laissé sans voix. Mais le résumé que j’ai tiré de ses notes est le suivant :

[…]

Tous les anciens auteurs ecclésiastiques ont dit, ou plutôt ont transmis, qu’à la consommation du monde, lorsque l’ordre romain sera détruit, il y aura dix rois – ou plusieurs rois, comme l’interprète saint Augustin, un nombre défini mis pour l’indéfini – que l’Écriture appelle les « Dix Cornes de la Bête » ; qui viendront certainement de l’Empire romain, mais ne seront pas des empereurs romains, qui détruiront l’ordre romain ; et d’entre eux, la onzième corne, surgira l’Antéchrist. Ils l’ont lu très clairement dans l’Apocalypse et dans Daniel.

Une « petite corne », c’est-à-dire un roi obscur et plébéien, qui grandira peut-être soudainement, au milieu d’eux et en même temps en dehors d’eux, parce qu’il est le onzième, l’appendice, en dehors du nombre parfait et de l’ordre admis : un parvenu, un intrus parmi les nations, qui conquerra trois rois, les plus grands, ou les plus proches, et « les autres lui seront soumis ». Ils sont donc tous dans l’erreur ceux qui pensent que les « dix rois » de Daniel et de l’Apocalypse sont les dix empereurs qui ont persécuté l’Église, tels que Néron, Domitien, Trajan, Antoine, Sévère, Aurélien, Dèce, Maximien, Valérien et Dioclétien ; car ils n’ont pas vécu à la fin du monde, et trois d’entre eux ne sont pas tombés sous le joug de l’Antéchrist, et la succession de leurs règnes ne peut être prise pour la simultanéité que prêchent clairement les livres saints.

~ 117 ~

L’Antéchrist ne sera pas un démon mais un homme démoniaque ; il aura « des yeux comme des yeux d’homme », élevés avec la plénitude de la connaissance humaine, et il fera preuve d’humanité et d’humanisme ; il écrasera les saints et renversera la Loi, tant du Christ que de Moïse ; il triomphera pendant trois ans et demi jusqu’à ce qu’il soit tué sine manu, pas par la main de l’homme ; il fera régner « l’abomination de la désolation », c’est-à-dire le sacrilège suprême ; il sera orgueilleux, menteur et cruel, bien qu’il prétende être vertueux ; il prétendra peut-être reconstruire le temple de Jérusalem pour gagner les Juifs, mais il le construira pour lui-même et pour son idole Maozim ; il idolâtrera la force brute et la puissance guerrière, ce que signifie Maozim : Mais il sera athée et prétendra lui-même recevoir les honneurs divins, sous quelle forme nous l’ignorons : comme Fils de l’Homme, comme vrai Messie, comme incarnation parfaite et fleur de l’humain superbement divinisé, comme Führer, Duce, Chef et Sauveur des hommes, comme Ressuscité des morts.

Prétendra-t-il peut-être ressusciter d’entre les morts, usurpera-t-il frauduleusement la personnalité d’un illustre défunt, ou restaurera-t-il un ancien empire déjà mort ? Il réduira l’Église à son extrême tribulation, tout en favorisant une fausse Église. Elle tuera les Prophètes et aura de son côté une bande de prophètes, prophétiseurs et chantres du progressisme et de l’euphorie de la santé de l’homme pour l’homme, hiérophantes qui proclameront la plénitude des temps et un bonheur néfaste. Par-dessus tout, il persécutera la prédication et l’interprétation de l’Apocalypse ; et il haïra avec fureur même la mention de la Parousie. En son temps, il y aura de véritables monstres qui occuperont des sièges et des chaises et passeront pour des hommes pieux, religieux et même saints ; car l’homme du crime tolérera un christianisme frelaté.

Il abolira complètement la Sainte Messe et le culte public pendant 42 mois, 1 260 jours. Il imposera par la force, par le contrôle d’un état policier et par les peines les plus sévères, un culte mauvais, qui impliquera dans ses actes l’apostasie et le sacrilège ; et dans aucune région du monde les hommes ne pourront échapper à la contrainte de ce culte. Il aura partout des armées puissantes, disciplinées et cruelles. Il imposera universellement le règne de l’iniquité et du mensonge, d’un gouvernement purement extérieur et tyrannique, d’une liberté débridée de plaisir et d’amusement, de l’exploitation de l’homme, et de ses propres manières impitoyables et hypocrites. Il y aura dans son règne une fausse joie retentissante et extérieure, couvrant le désespoir le plus profond.

En son temps, les perturbations cosmiques les plus étranges se produiront, comme si les éléments n’étaient pas en harmonie ; qu’il prétendra maîtriser en son pouvoir. L’humanité sera dans l’attente la plus intense, et la plus grande confusion régnera parmi les hommes. Les liens de la famille, de l’amitié, de la loyauté et de la camaraderie étant rompus, les hommes ne pourront faire confiance à personne ; et il s’abattra sur le monde, comme un froid tremblement, un chacun pour soi universel et sans pitié. Les choses les plus sacrées seront foulées aux pieds, et aucune parole n’aura de foi, aucun pacte n’aura de force, sinon par la force. La charité héroïque de certains fidèles, transformée en amitié jusqu’à la mort, soutiendra les îlots de la Foi dans le monde ; mais elle sera elle-même continuellement menacée par la trahison et l’espionnage. Être vertueux sera une punition en soi, et une sorte de suicide.

L’Antéchrist sera anéanti par l’archange Michel. Après sa mort, les hommes auront au moins 45 jours pour faire pénitence ; peut-être beaucoup plus, des années entières. Il sera probablement d’origine juive, élevé au pouvoir suprême par la démagogie, l’intrigue, le machiavélisme et les crimes les plus froids et les plus calculés ; et les Juifs aussi seront probablement sa garde rapprochée et l’instrument de son pouvoir, du moins au début. A leur chute, les fidèles auront la liberté ; mais assommés, vaincus et dispersés, la prédication, et donc la Foi, ne seront réorganisées qu’après un certain temps.

La doctrine lugubre du bolchevisme ne sera pas la dernière hérésie, mais son étape préparatoire et destructrice. La dernière hérésie sera optimiste et euphorique, messianique.

Le bolchevisme y sera incorporé, intégré. Il niera que Jésus est le Dieu sauveur (Joa. II) ; 2. il s’érigera en sauveur absolu de l’humanité (Joa. V) ; 3. il se déifiera (II Thess. II) ; 4. il supprimera, combattra ou falsifiera toutes les autres religions (Dan. VI). Il viendra des Juifs et sera d’eux, en partie du moins, reçu comme Messie ; et qu’il sera Juif de naissance, circoncis, et qu’il observera le sabbat, au moins pour un temps ; et que sa capitale sera Jérusalem. Bellarmin le donne comme certain, et Lactance, Jérôme, Théodoret, Irénée comme probable. Il n’attaquera pas le christianisme au nom du christianisme, comme Luther et ses sbires, mais il s’emparera – et réduira à lui – tous les faux christianismes qu’il trouvera alors.

Il ne sera pas un roi héréditaire, il sortira de terre et obtiendra la pourpre par la fraude et le meurtre ; il régnera soutenu en Asie et soumettra l’Occident. Gog est un roi et Magog est son pays ; et les Hébreux ont toujours compris, comme le rapporte la tradition, par le nom de Magog les Scythes, « blancs comme la cruauté », c’est-à-dire les peuples du Caucase et d’au-delà de l’Oural ; mais l’armée de Magog sera composée de la terre entière, car le prophète Ézéchiel y énumère nominalement les Perses, les Éthiopiens, les Hispaniques (Tubal) et les Nordiques (Togormá). Cette armée sera détruite par le feu comme il est écrit : « Je ferai pleuvoir sur lui et sur son armée le feu et le soufre ». Ces petites blagues qu’ils font maintenant avec la « désintégration de l’atome », pourraient bien être une surprise et une « chaîne » – ou un déclencheur – comme les hommes de science et les hommes de technologie ne l’avaient pas imaginé.

Il fera de tels prodiges, en mentant et en trompant, qu’il étonnera les hommes. L’Écriture donne trois exemples concrets : faire tomber le feu du ciel, faire parler l’image de la Bête, et une mort et une résurrection truquées ; mais elle ne dit rien, et ne pourrait rien dire, sur la manière de les réaliser. Ces présages sont aujourd’hui presque à la portée de la magie de la « Science » moderne, qui est chaque jour moins science et plus magie, et même magie noire ; car la technologie ou technogénie moderne s’éloigne chaque jour davantage de l’orbite de la connaissance de Dieu et de l’homme pour se diriger vers la maîtrise utilitaire et imprudente des forces cosmiques, et même vers la destruction et le viol de l’Univers. Les gouvernements « sages », orgueilleux et arrogants, se sont soustraits depuis longtemps au respect du sein de la nature, qui faisait que les Grecs – témoin Aristote – interdisaient la dissection des cadavres ; et ils envahissent le domaine des anges, conduits peut-être par l’un d’entre eux, car ce que nous appelons éther, comme le disait la théologie antique, et saint Thomas le reprend, est le lieu des anges ; la portion de matière créée dans laquelle l’ange habite, au sens où un ange peut habiter dans la matière ; c’est-à-dire l’élément à partir duquel le pur esprit peut exercer son action sur le sensible créé ; la moelle du cosmos, le fluide nerveux du monde, le pont de la matière à l’esprit, consubstantié à celui-ci, non par nature mais par ordination créatrice.

Et rien de plus. Nous ne savons pas si Rome sera détruite ou non, selon la lettre d’une description apocalyptique, bien que de nombreux Saints Pères le croient.

« Romanum, inquit, nomen , quo nunc regitur orbis (borret animus dicere sed dicam quia futurum est), tolletur de terra, et Imperium in Asiam revertetur, ac rursum Oriens dominabitur ; atque Occidens serviet » [Je dis que le nom romain, par lequel aujourd’hui l’orbe est gouverné (cela m’horrifie de le dire mais je le dirai, car cela doit arriver) sera enlevé de la terre ; et l’Empire reviendra en Asie et dominera à nouveau l’Orient ; et l’Occident servira], s’exclame Lactance ; ce que suit saint Augustin, interprétant saint Paul, au chapitre 1 du livre XX du De Civitate. Saint Victorinus Martyr affirme clairement que « l’Église sera enlevée », mais cela ne signifie pas qu’elle sera entièrement et absolument éteinte, comme l’a opiné Domingo Soto, mais plutôt sa disparition de la surface de la terre, et son retour dans des catacombes plus sombres et plus torrides.

Tout le reste n’est que conjectures brodées avec plus ou moins d’intelligence par les exégètes ; ce qui précède est dans l’Écriture et la tradition littéralement.

[…]

Voilà pour le journal du vieux, c’est-à-dire la partie saine du journal.

[…]

Igitur relata refero. Tout ici se trouve dans l’Écriture Sainte et dans la Tradition, qui à son tour se réfère à l’Écriture. Les conjectures et les fantasmes, plausibles ou non, ont été abandonnés. L’enseignement de l’Église dans ses docteurs s’est toujours préoccupé de l’Antéchrist ; et on ne peut le dire en vain : bien qu’à travers les gribouillages des mauvaises herbes, la prophétie s’est précisée.

Si l’on parle de l’Antéchrist à un homme d’aujourd’hui, il n’est pas intéressé, ou alors il sourit. Mais dites-lui : guerre totale, État totalitaire, capitulation sans condition, dictature du prolétariat, listes noires, bombes nucléaires, judaïsme, nazisme, communisme, empire mondial, et il ne peut s’empêcher de tendre l’oreille. Eh bien, « mutato nomine, de te – Fabula narratur … ». La seule chose qui a changé, ce sont les mots.

~ 120 ~

Il existe de nombreux livres sur l’Antéchrist – trop nombreux. Malheureusement, je n’en connais pas d’excellents en espagnol. Saint Hippolyte, Saint Victorinus, Pannonius, Bellarmin, Leonard Lessius, Newman, Pieper, Erik Peterson, Hans Preuss, Solovief, Ethelbert Stauffer, Dessauer, Schher, Swete, Benson … n’ont pas été traduits.  Il est donc bon pour moi d’écrire dans ma propre langue et à ma façon ce que j’ai appris d’eux.

(Ap 13) 2 Et la bête que je vis était semblable à un léopard, et ses pieds étaient comme les pieds d’un ours, et sa gueule, comme la gueule d’un lion ;

La Bête de St Jean est un composé des quatre bêtes sauvages de Daniel ; « la récapitulation de l’Hérésie » comme l’appelle St Irénée. Saint Jean les énumère dans l’ordre inverse, peut-être parce que la religion hérétique de l’Antéchrist part de la dernière pour arriver à la première, le paganisme.

(Ap 13) et le dragon lui donna sa force et une (sa) grande puissance. 3 Et je vis une de ses têtes comme blessée à mort ; mais cette blessure mortelle fut guérie, et la terre entière fut dans l’admiration, à la suite de la bête. 4 Et ils adorèrent le dragon, qui avait donné la puissance à la bête ; et ils adorèrent la bête, en disant : Qui est semblable à la bête ? et qui pourra combattre contre elle ?

Le cri « Qui est comme la Bête ? » est la parodie et le pendant du cri de saint Michel au ciel, « Qui est comme Dieu ? ». La lutte perpétuelle entre le Mal et le Bien est le thème central de l’histoire de l’homme : et tous les événements, comme les guerres médiques et puniques, la monarchie chrétienne et la révolution, la civilisation et la barbarie, les religions, les grandes créations artistiques, les conquêtes et les découvertes, n’ont de sens qu’en référence à cette lutte perpétuelle. Maintenant, cette bataille éternelle est arrivée à sa résolution. La question peut maintenant être tranchée ; en fait, elle doit l’être. Le choix pour le Christ ou contre le Christ – pour le Contre-Christ – devient universel et inéluctable. «  Et cet Evangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la fin. » (Mt 24,14)

La Tête Blessée est l’un des royaumes de l’Antéchrist, et en même temps l’Antéchrist lui-même, car plus tard Jean, en XIII, 14, l’appelle « la bête, qui a la blessure de l’épée (une blessure du glaive) et qui a repris (conservé la) vie. » Cette note, qui doit être le thème principal de la prédication propagandiste du Faux-prophète ou de la Seconde Bête, nous ne savons pas ce qu’elle sera. Certains Pères, se basant sur un obscur verset de Daniel, ont dit qu’il subirait une grande défaite guerrière et qu’il serait ensuite reconstruit avec une plus grande force ; un autre : que, voulant parodier la Résurrection du Christ, il ferait semblant d’être mort d’abord et de ressusciter ensuite, comme Simon Magus. Il est plus plausible que cette blessure mortelle et sa guérison ultérieure fassent référence à la restauration d’un ancien empire mort, que le prophète prédit plus tard à l’Antéchrist : nominalement l’Empire romain, comme le pensent la plupart des Pères.

(Ap 13) 5 Et il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles orgueilleuses et des blasphèmes ; et le pouvoir lui fut donné d’agir pendant quarante-deux mois. 6 Et elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel. 7 Il lui fut aussi donné le pouvoir de faire la guerre aux saints, et de les vaincre ; et la puissance lui fut donnée sur toute tribu, sur tout peuple, sur toute langue et toute nation. 8 Et tous les habitants de la terre l’adorèrent, ceux dont les noms n’ont pas été inscrits, depuis la création du monde, dans le livre de vie de l’Agneau qui a été immolé (dès l’origine du monde).

~ 122 ~

Saint Jean rapporte presque littéralement les œuvres de l’Antéchrist selon Daniel, en le résumant : son esprit sacrilège, la courte durée de sa domination, son pouvoir de vaincre les fidèles, son hégémonie universelle, en terminant par une allusion audacieuse au « martyre » de Jésus-Christ – que les chrétiens doivent alors imiter – qui a été prédéterminé par Dieu dans le rachat des péchés depuis le Premier Péché : « Qui a été immolé – Dès le commencement du monde ». Il oppose ainsi la fausse résurrection de l’Antéchrist à la vraie résurrection du Christ.

« Si un effroi religieux ne m’empêchait pas de poser les yeux sur ces temps redoutables, il ne me serait pas difficile de soutenir sur de puissants motifs d’analogie l’opinion selon laquelle le grand empire antichrétien sera un royaume démagogique colossal, dirigé par un plébéien de grandeur satanique, qui sera l’homme du péché », a déclaré Donoso Cortés.

(Ap 13) 9 Si quelqu’un a des oreilles, qu’il entende. 10 Celui qui aura conduit en captivité, s’en ira en captivité ; celui qui aura tué avec l’épée (le glaive), il faut qu’il soit tué par l’épée (le glaive). C’est ici qu’est la patience et la foi des saints.

La plupart des interprètes ont compris cet épiphonème de Jean dans le sens de la parole du Christ : « Celui qui se sert de l’épée périra par l’épée », les conquérants seront à leur tour conquis et dans cette foi s’affirme la patience des Martyrs. Mais certains linguistes donnent aujourd’hui la traduction improbable :  » ceux qui sont conduits en captivité, qu’ils n’y aillent plus ; et aussi ceux qui sont condamnés à mort par le Christ « , car ils considèrent que ce sens est plus conforme à  » Patience « . Mais cela ne serait pas un « mystère » ou une nouveauté ; et alors le « si quelqu’un a des oreilles, qu’il entende », qui indique toujours le mystère, comme nous l’avons vu, est superflu.

(Ap 13) 11 Je vis aussi une autre bête qui montait de la terre, et qui avait deux cornes semblables à celles d’un agneau (de l’Agneau) ; et elle parlait comme le dragon. 12 Et elle exerçait toute la puissance de la première bête en sa présence ; et elle fit que la terre et ses habitants adorèrent la première bête, dont la blessure mortelle avait été guérie.

L’autre séducteur et tyran du monde, que Jean appellera plus tard le « Faux prophète », a un caractère religieux : « semblable à l’Agneau » et surgit de la Terre ferme, de la Religion ; pas comme l’autre, de la Mer, du monde mondain. Et cette Bête est celle qui a fait que le monde entier adore l’Autre.

Et elle a aussi des pouvoirs thaumaturgiques : elle accomplit les prodiges auxquels saint Paul fait référence lorsqu’il dit de l’Antéchrist :

(2 Th 2) 9 L’avènement de cet impie aura lieu selon la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs, 10 et avec toutes les séductions de l’iniquité pour ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. C’est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d’égarement (opération d’erreur, note), pour qu’ils croient au mensonge, 11 afin que tous ceux qui n’auront pas cru à la vérité, mais qui auront consenti à l’iniquité, soient condamnés.

« Prodiges trompeurs » ; donc : pas de vrais miracles, ni même de fictions ou de conjurations. Les deux exemples donnés par Saint-Jean peuvent être réalisés aujourd’hui par la « Science » moderne, c’est-à-dire la Technique. La Seconde Bête féroce peut-elle être la Technique d’aujourd’hui, comme Claudel s’y risque ?

Pas vraiment ; car cette Bête est un homme individuel, si le Premier est un individu, comme il l’est indubitablement ; l’Ange de la Vision 18 les saisit tous deux ensemble et les plonge dans le Baratrum.

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Selon Pieper, cette Bête représente la Propagande sacerdotale de l’Antichrist, rappelant le dévouement des prêtres païens de Jupiter à la propagande du Divus Caesar, le culte divin de l’Empereur.

Le chef de la Propagande est donc un homme religieux et en même temps un ingénieur électronique, dirait-on aujourd’hui. Solovief, dans sa remarquable légende, l’a incarné dans la figure d’un évêque asiatique, Apollonius, une sorte de génie religieux, habile dans la science moderne et en même temps dans la magie et le fakirisme de l’Orient, qui se met d’abord sournoisement puis ouvertement au service de l’empereur plébéien, comme Apollonius de Thyane d’autrefois. Cet apostat, l’avant-dernier Pape, sous la pression de l’Empereur, le fait cardinal ; tandis que le dernier, Petrus II (Cardinal Simon Banonini), l’exécre, mais ne peut rien contre lui. Image remarquable ; soutenue même par le fait que certains interprètes ont vu dans « les deux cornes en forme d’agneau » une mitre d’évêque. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu’il faut s’opposer aux mitres actuelles, surtout celles qui sont portées saintement.

« Et elle exerçait toute la puissance de la première bête en sa présence » (Ap 13,12) – c’est-à-dire qu’il l’a agi, représenté, rendu efficace et convaincant, ce qui est le pouvoir de la propagande, dont on sait quel pouvoir elle a encore aujourd’hui, et qui augmentera au fur et à mesure de la crétinisation des masses et de la perfection des instruments techniques de diffusion.

Cette histoire d’une religion fausse, contrefaite, falsifiée, fallacieuse – de fallo – faltere, tomber – nous la verrons se répéter dans la Vision 16, la Grande Prostituée ; et une telle religion fornicatrice est nécessaire à l’essor du culte sacrilège de l’Antéchrist, « qui s’assiéra dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu » (2 Th 2,4), comme le prédit saint Paul. Ce que Daniel appelle « l’abomination de la désolation », et que Jésus-Christ répète.

(Ap 13) 13 Elle fit de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, en présence des hommes. 14 Et elle séduisit les habitants de la terre, à cause des prodiges qu’il lui a été donné de faire en présence de la bête, en disant aux habitants de la terre de faire une image de la bête, qui a la blessure de l’épée (une blessure du glaive) et qui a repris (conservé la) vie. 15 Et il lui fut (même) donné de mettre le souffle vital dans l’image de la bête, afin que l’image de la bête pût parler, et faire que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête fussent mis à mort.

Ces deux « prodiges » peuvent être réalisés aujourd’hui avec la bombe atomique et la télévision par satellite. Il y a plus d’un siècle, dans ses sermons de l’Avent, John Henry Newman, alors presbytre, expliquait à ses auditeurs d’Oxford que ces « prodiges » dont saint Paul mettait en garde pouvaient être « de grandes inventions dans le domaine des sciences naturelles » ; or Newman ne connaissait que le télégraphe et l’aéronautique (ballons captifs) et n’avait aucune idée du mauvais usage qui en serait fait pendant la Grande Guerre. Donoso Cortés et Baudelaire ont également averti, presque au même moment, qu’avec le contrôle du télégraphe et des journaux, n’importe quel imbécile pouvait dominer un grand pays. Ils ne connaissaient pas encore ni la téléphonie sans fil, ni la télévision, ni les petites bombes A et H.

Les sortilèges et la sorcellerie que les Pères de l’Antiquité imaginaient pour les exploits du faux-prophète, comme ceux de Simon Magus et d’Apollonius de Thyane, nous feraient plutôt rire aujourd’hui : faire germer un serpent en jetant un bâton sur le sol ; cela et plus encore peut être fait par le prestidigitateur Houdini sur la scène. Au lieu de cela, nous suivons, bouche bée et aliénés, la religion de la « science » actuelle qui, lorsqu’elle est bonne, peut tout au plus nous apporter un « confort » ; et lorsqu’elle ne l’est pas, elle peut détruire le monde, après l’avoir trompé. [51]

(Ap 13) 16 Elle fera encore que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçoivent une marque sur leur main droite ou sur leur front, 17 et que personne ne puisse acheter ni vendre, s’il n’a la marque ou le nom de la bête, ou le chiffre de son nom.

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Les « listes noires » commerciales nous étaient déjà connues pendant la Seconde Guerre mondiale : on a refusé de m’emmener en avion à Cordoba, où j’avais un frère malade, parce que j’étais sur la liste noire des « germanophiles », ce que je ne suis pas sûr d’être encore aujourd’hui ; et j’étais amer qu’un Argentin, en Argentine, par une entreprise argentine, soit puni pour un crime qu’il n’avait pas commis, au nom des étrangers. La punition était très relative, car cet avion s’est écrasé.

Mais ce sera pire à l’époque de l’Antéchrist, car elle sera universelle et « totalitaire ». En un autre temps, les personnes politiquement persécutées avaient la possibilité d’émigrer ; mais alors, elles ne pourront pas le faire, et il n’y aura pas non plus d’ambassades avec le droit d’asile. Écrivant sur l’Empire romain et sa chute dans Decline and Fall of the Roman Empire, le libéral Edward Gibbon – qui n’éprouve aucune sympathie pour les martyrs chrétiens – note que le pouvoir absolu dans une main signifie le déracinement de toute liberté « parce qu’il ne reste aucune chance de s’échapper ; lorsque le pouvoir tombe entre les mains d’un seul, le monde entier devient une prison pour ses ennemis » ; ce que nous ne manquons pas de ressentir aujourd’hui, lorsque la main de la Russie se tend à Trotzky au Mexique ; et celle d’Israël à Eichmann en Argentine ; et dans un Journal de la Grande Guerre G . Nebel en tire la juste conclusion que « dans une organisation mondiale des nations déjà imminente, il faut objecter qu’il n’y aurait plus d’endroit où l’homme pourrait émigrer » (« Bei den mordlichen Hesperiden » ). Dans le Weltstaat de l’idéal de Kant, dit le philosophe, il n’y aurait plus de guerres étrangères ; la contrepartie est qu’il y aurait des opérations de police, qui seraient pires que la peste.

La « marque de la Bête » sera probablement constituée de bracelets ou de protège-poignets accompagnés d’un signe sur les visières ou d’un bandeau portant un signe ceci ou cela – le nombre 666 ? – peut-être avec une signification sacrilège ou obscène, que les chrétiens ne pourront pas accepter : c’est ainsi que les séides d’Hitler portaient la croix gammée au temps de la Grande Guerre, sauf que maintenant elle sera universelle, « petits et grands, libres et esclaves ». La même chose s’est produite à l’époque de César Dioclétien, le plus grand persécuteur de chrétiens de tous les temps : personne ne pouvait commercer, vendre, acheter ou voyager s’il n’avait pas la tessère, témoignage de son adoration de César.

À l’époque d’Elizabeth I d’Angleterre, les catholiques étaient dépouillés de leurs biens – la petite noblesse rurale – par la force d’amendes répétées sur ceux qui n’assistaient pas aux « offices » protestants ; et ceux qui disaient la messe ou l’entendaient, ou simplement cachaient un prêtre, étaient pendus comme « traîtres à la patrie » ; parfois après d’énormes tortures.

(Ap 13) 18 C’est ici qu’est la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence calcule le nombre de la bête ; car c’est un nombre d’homme, et son nombre est JXS (six cent soixante-six).

Il s’agit d’une guématrie, commune aux peuples méditerranéens, notamment aux Hébreux. Comme en hébreu et en grec – et en latin aussi – les chiffres sont exprimés par des lettres, ils ont donné des noms aux chiffres ; celui-ci est 666, quel nom exprime ce nombre ? Cela a donné aux exégètes, et surtout à beaucoup de ceux qui ne sont pas exégètes, quelque chose à faire : d’innombrables noms ont été composés avec ce nombre, de sorte que les plus sûrs dans ce cas sont ceux qui déclarent qu’ils ne sont pas sûrs : comme on peut le voir dans le chapitre II du second livre de nos Papiers de Benjamin Benavides. De très nombreux noms sont possibles : l’Espagnol Beatus de Liébana en a proposé sept différents, inventés par le linguiste Arethas ; saint Irénée a proposé Teitan (nom d’Apollon) et Lateinos (désignant l’empereur romain) préférant ce dernier, comme ses disciples. De nombreux Pères ont vu le nom accepté aujourd’hui par l’exégèse moderne, Néron en lettres hébraïques (Q’sar Neron) et ont même changé le nombre en 616 – comme il l’est dans certains codes, très improbable – pour donner Néron César en lettres latines. Cette hypothèse a été rendue prévalente par les livres de quatre savants allemands : Fritzche, Benary, Hitzig et Reuss (1831-1837). Saint Jean aurait annoncé aux fidèles le nom du type de l’Antéchrist, le monstrueux premier Persécuteur ; quant à l’antitype, le véritable et dernier Antéchrist, nous ne pouvons encore rien savoir.

Comme curiosité, nous dirons qu’avec ce nombre beaucoup se sont amusés à désigner leurs ennemis : au Moyen Âge on composait avec Mahomet ; au XVIe siècle, Melanchton et Bibliander ayant composé avec 666 Pontifex Romae, Bellarmin s’amusait à composer le surnom de Luther, ou saxéinos, le Saxon. Au XIXe siècle, un royaliste français a obtenu le nom de Napoléon, et un grand hébraïsant dominicain, Joseph Dussot, celui de la franc-maçonnerie, avec un peu de ruse. À l’époque de la Première Guerre mondiale, ils ont obtenu le Kaiser Wilhelm ; et pendant la Seconde Guerre mondiale, un professeur polonais a obtenu Hitler, en multipliant les lettres de l’alphabet et en ajoutant 100 à chacune d’elles, ce qui est également une astuce.

Les fidèles d’aujourd’hui connaissent le nom du grand empereur plébéien, nous ne le connaissons pas.

Contre la solution de Q’sar Nero, il y a cette difficulté : comment saint Jean a-t-il pu le mettre en lettres hébraïques dans un livre écrit en grec et destiné à des lecteurs grecs ? Il a pris une extrême précaution, peut-être ; par égard pour la  » police  » ; il était trop dangereux pour elle de lire le nom de César, barré comme Bête, dans un livre chrétien.

Nous verrons plus loin que saint Jean a tiré les éléments de sa prophétie sur le siècle dernier des circonstances qui l’entouraient dans ce premier siècle ; c’est-à-dire qu’il a vu la dernière Persécution à la lumière de la Première (type et antitype) ; tout comme le Christ l’a fait dans son Sermon eschatologique en Matthieu XXIV, en prophétisant à la fois la destruction de Jérusalem et la Parousie.

[47] Voir, par exemple, Newman, Tract. 35, The Antichrist. [Il existe une édition actuelle, Pórtico, note de l’éditeur]

[48] Épître CXXI, année 409.

[49] Voir, par exemple, le drame absurde de Juan Ruiz de Alarcón, L’Antéchrist.

[50] Matthieu 5 ; et parallèles, Jean V, 43.

[51] Voir Excursus I.

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